Initiation aux méthodes intégrées au jardin potager
Chapitre : Le sol de culture
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⇒ Labour ou non labour ?
Le travail du sol a tout de suite été adopté quand l’homme du néolithique s’est converti en agriculture il y a plus de 5000 ans. Sur tous les continents, les premiers agriculteurs ont constaté que le travail du sol favorise la germination des graines et la croissance des plantes. En Europe, le travail du sol a d’abord été effectué avec des outils rudimentaires telle l’herminette utilisée comme une houe. Avant l’époque gallo-romaine, les Celtes utilisaient déjà l’araire qui fend la terre à l’aide d’un soc, mais ne la retourne pas.
Le labour consiste à retourner la terre à l’aide d’une bêche pour les petites surfaces ou d’une charrue pour les grandes cultures. Dans le labour, la terre de jardin n’est pas mélangée. Tout ce qui se trouve à la surface du sol, comme les mauvaises herbes, se retrouve enfoui de 25 à 30 cm de profondeur. En grande culture, la mécanisation a conduit à un approfondissement des labours qui peuvent descendre jusqu'à 80 cm de profondeur.
Extrait du film : Les Gardiennes
La charrue et le labour sont connus depuis au moins le Ve siècle (1). Pour autant, le labour ne s'est pas généralisé du jour au lendemain. Ainsi l’araire est encore utilisé en France par certains agriculteurs à la veille de l’agriculture préindustrielle. Cet outil est signalé dans un ouvrage très célèbre du XIX siècle écrit par Félicien PARISET (2) dans lequel il est précisé que le sol de culture est décompacté sur 10 à 12 cm de profondeur 3 fois par an pour la culture du blé sans que l’on se soucie des conséquences sur les vers de terre.
Sauf exception, l’usage de ces différentes techniques du travail du sol durant des millénaires ne s’est jamais traduit en France par une désertification des sols cultivés. C'est pourtant ce qui est reproché de nos jours au travail du sol et notamment au labour. Or les anthrosols plagiques de l’Europe du Nord-ouest (ou anthroposols du référentiel pédologique français) qui supportent des cultures exigeantes où le labour est fréquemment utilisé sont caractérisés par une accumulation progressive depuis plusieurs milliers d'années de matières organiques provenant des activités agricoles mélangées au sol d’origine. Mais ces mêmes régions sont victimes de perte en humus depuis quelques années et il est bien entendu utile d'en connaître les raisons.
Le labour est-il vraiment responsable de cette situation ? Cette dernière n'est-elle pas la conséquence de la généralisation de la monoculture intensive et de la disparition des fermes de culture-élevage et des intrants organiques apportés par ces fermes ? Des labours trop profonds ? Mais aussi de la généralisation du tout-à-l'égout interdisant l'épandage des excréments humains dans les champs à la fois pour des raisons sanitaires et de confort ? Ou encore de conditions locales particulières ? Par exemple aux États-Unis, plus d'un tiers de la Corn Belt dans le Midwest a perdu sa couche arable superficielle riche en carbone. Mais cette perte a été principalement observée sur les sommets des collines et des crêtes, ce qui indique une érosion par le travail du sol avec déplacement du sol vers le bas des pentes par des labours répétés (3).
La teneur en matière organique du sol est surtout dépendante de la quantité de résidus des récoltes retournant au champ. Les résidus de maïs broyés restituent au sol une quantité importante de paille. Il est reconnu que les cultures successives avec peu de céréales comprenant des tubercules, des betteraves, des salades, des oignons… apportent peu de matière organique au sol. Ainsi, l’on assiste à une diminution de la MO dans les régions comme dans le nord de la France où l’on produit beaucoup de pommes de terre.
Pour répondre à la perte en humus en agriculture intensive, d’autres techniques comparables à l'araire, voire l'absence de travail du sol sont proposées pour remplacer le labour. Dans les "Techniques Culturales Simplifiées" (TCS) ou les « Techniques Culturales sans Labour » (TCSL) ou encore "l'agriculture régénératrice" le labour est remplacé par un travail superficiel du sol sans retournement de la terre tel que pratiqué par nos ancêtres avec l’araire. Dans l'« Agriculture de Conservation des Sols » (ACS) et notamment le semis direct (no till), le sol n'est plus travaillé sauf sur la ligne de semis pour enterrer les graines. La partie du sol non cultivé reçoit une couverture végétale non productive destinée à l'entretien de l'humus.
Selon la définition de la FAO (l'Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture), l’agriculture de conservation qui implique le semis direct, désigne un système de culture reposant sur 3 grands principes :
1) Une absence de travail du sol et une intervention minimale sur le sol lors du semis, qui ne laisse pas plus de 25 % de la surface travaillée ;
2) Un paillage organique couvrant au moins 30 pour cent de la surface du sol immédiatement après le semis ;
3) Une diversité de cultures comprenant au moins trois espèces dans la rotation des cultures.
Dans l’agriculture régénératrice, deux autres principes sont ajoutés :
1) L'intégration de l'élevage (notamment l’apport de fumier) ;
2) Un enracinement du sol tout au long de l'année.
En Allemagne, l’agriculture régénératrice n’a pas la même signification, incluant le fraisage superficiel voire, un ameublissement plus profond du sol.
Afin de compenser les pertes en humus, des plantes spécifiques non productives sont cultivées entre les rangs de la culture exportable, ou après la récolte afin que le sol ne soit jamais nu. La nature de ce couvert végétal est définie de manière à créer des relations complémentaires entre les différents végétaux, y compris les adventices. Les agriculteurs qui se sont spécialisés dans ce type de culture ont appris à ajuster tous les ans la composition des couverts tenant compte de la nature et des dates de semis des cultures exportables, du cycle végétatif et de la profondeur des espèces végétales (6). Par exemple le blé est semé en novembre sur une couverture de lotier qui est une plante herbacée vivace couramment cultivée comme plante fourragère. Le lotier démarre en mai lorsque le blé est déjà haut pour assurer la couverture du sol après la moisson. Cette association n'a pas montré de concurrence nuisible à l'encontre de la culture exportable.
Il est essentiel de choisir une variété d’une culture de couverture permettant d'améliorer significativement la fertilité du sol et contribuer à la réduction d’intrants. Pour citer un exemple, aux USA de nombreuses recherches entreprises par l'Université de l'État du Mississippi ont été consacrées à la mise au point de variétés de trèfle présentant des caractéristiques améliorées en termes de performance. Des variétés délibérément sélectionnées pour une maturité plus tardive ont montré un avantage significatif pour augmenter la réserve d’azote dans le sol. Ainsi, en examinant 13 variétés différentes, le trèfle le plus tardif a fixé 208 kg d'azote par hectare, alors qu'une variété moins performante ne fixait que 46 kg d'azote par hectare (7).
Dans le semis-direct, l’entretien de la couche arable est assuré par des auxiliaires utiles, en particulier les vers de terre qui remplacent le travail de la bêche ou de la charrue. Le semis direct s'est surtout développé au Brézil, en Argentine, aux USA et en Australie, souvent dans des conditions particulières de sol et de climat avec un contexte de culture différent par rapport à l'Europe. Par exemple en Argentine, la culture en semis direct du soja OGM + glyphosate (18 millions d'ha en 2010 (4)) a connu un développement spectaculaire. En France, le semis direct reste encore marginalisé (de 0,5 à 4 % en 2013 selon la nature des cultures (5)).
Les ACS nécessitent de laisser sur place beaucoup de débris végétaux. Quand le champ n’est pas utilisé pour des productions exportables, des végétaux sont cultivés (dénommé culture de couverture) puis détruits sur place le plus souvent à l'aide d'un désherbant pour augmenter la réserve en humus. En dehors des acariens, crustacés et autres bestioles qui se nourrissent de ces débris végétaux, le semis direct nécessite beaucoup de vers de terre qui jouent un rôle fondamental dans la structuration de la terre arable, notamment son aération et le malaxage des matières organiques avec les autres éléments du sol pour produire des CAH.
Les 3 grandes groupes de vers de terre :
Anécique noir (tête noire). Origine : jardin potager de l'auteur
De grandes tailles, ils se nourrissent de la litière de surface qu'ils mélangent avec le sol. Ces vers de terre vivent dans des tunnels verticaux souterrains pour se rendre en surface et y trouver leurs nourritures. Ils rejettent une partie de leurs déjections à la surface du sol pour former des tortillons encore dénommés turricules. Ces vers de terre vivent plusieurs années dans le sol, mais leur taux de reproduction est limité. Les anéciques ont besoin de terre compact pour construire leurs galeries qui sont saccagées après un travail du sol se traduisant par une réduction significative en surface des turricules.
Peu pigmentés et de couleur rose pâle, ils vivent en permanence dans le sol en creusant des galeries horizontales et s’alimentent des débris organiques présents dans le sol. Leurs déjections sont laissées dans les galeries.
De petite taille et souvent bien colorés, ils affectionnent la litière de surface des forêts et des prairies. Leur taux de reproduction est assez élevé. On les rencontre aussi en abondance dans les composts.
Le travail du sol par certaines espèces de vers de terre n’est pas négligeable. Dans les régions tempérées, on peut compter sur une surface jusqu’à 15 espèces dont certaines sont considérées comme des laboureurs du sol. Un sol bien pourvu en matière organique peut contenir de 100 à 500 individus par m². À titre indicatif, la densité peut atteindre 2000/m² dans les pâturages tempérés de Nouvelle-Zélande ou dans certains vergers irrigués d’Australie (8).
Dans les zones forestières, les jardins d’agrément et les prairies, l’aération du sol est en particulier assurée par les vers de terre laboureurs dont on reconnaît leur présence par les turricules qu’ils laissent à la surface.
Les vers de terre laboureurs peuvent ingérer jusqu'à 20 à 30 fois leur propre poids de terre tous les jours et plus de 1000 tonnes de terre sèche par an. Dès lors, on comprend facilement pour quelle raison certains agriculteurs et chercheurs agronomes estiment qu’il est possible de remplacer le travail de la charrue par celui des vers de terre sous réserve de créer les conditions favorables à leur développement optimal tel qu’elles existent dans les sols des forêts et des prairies.
Les techniques interdisant le travail en profondeur du sol visent à préserver les caractéristiques biologiques des sols qui seraient dégradées par le labour, ce qui est en partie exact quand on n’apporte pas suffisamment de matière organique pour compenser les pertes en humus.
Dans un labour, les bactéries pathogènes vivant en profondeur sont déplacées en surface. Les insectes et vers utiles sont agressés et finissent par se raréfier. Le labour apporte plus d'oxygène dans le sol accélérant la décomposition des réserves en humus. Certains composants de l'humus sont plus rapidement décomposés. En présence d’oxygène, la minéralisation dégrade en premier lieu les acides fulviques de l’humus qui disparaissent au bout de 1 à 3 ans.
Quand le sol n'est pas travaillé, la minéralisation des autres composants de l’humus est beaucoup plus longue. Dans les régions tempérées, et selon certains auteurs, tout travail profond du sol et notamment le labour, produit tous les ans une perte de 1 à 3 % d’humus, alors qu’en non-labour moins de 0,5 % de l’humus serait minéralisé (9).
Il est également reproché au travail du sol de modifier les caractéristiques chimiques et physiques du sol ayant notamment pour conséquence de favoriser la conservation en profondeur des graines d'adventices et d'altérer les colonies de bactéries aérobies prospérant à la surface du sol. Les graines des adventices les plus résistantes enfouies par le labour et protégées de leurs prédateurs (fourmis, scarabées...), germeront au prochain labour après leur retour en surface. Les bactéries aérobies qui prospèrent en surface se retrouvent enterrées et meurent asphyxiées.
En ce qui concerne la gestion des mauvaises herbes, le semis direct a aussi ses inconvénients. Cette pratique a pour effet de favoriser le retour d’adventices vivaces comme le chiendent rampant dont les rhizomes ne sont plus détruits. Les graines des adventices s’accumulent dans les premiers centimètres du sol favorisant certaines espèces comme le ray-grass et l’avoine sauvage (Brome stérile). Leur concurrence sur le rendement peut être très forte en céréales d'hiver (10). En culture conventionnelle, on dénombre huit à neuf espèces d’adventices dominantes sur une parcelle alors que dans le travail superficiel du sol, vingt à cinquante espèces sont couramment présentes (6).
Travail du sol avec mélange des horizons sur une profondeur équivalente au labour (20 à 30 cm), mais sans retournement de la terre arable. L'araire utilité en Mésopotamie depuis le IVe millénaire av. J.-C avant de se généraliser dans d'autres parties du monde (encore employé en Extrême-Orient, en Amérique du Sud et en Afrique du Nord) est considéré comme un pseudo-labour. De nos jours, le principe de cette technique du travail du sol est de procéder à un mélange de la terre d’origine avec des engrais de fonds, des résidus de culture et d’autres amendements organiques. En grandes cultures, les outils utilisés sont souvent des cultivateurs lourds ou des rotavateurs (fraises rotatives, motobineuses...). Les petits motoculteurs à fraises utilisés par les maraichers et les jardiniers amateurs sont des outils de pseudo-labour.
Travail en profondeur (15 à 30 cm), mais avec conservation des horizons du sol dans leur position originelle (pas de retournement de la terre, pas de mélange des couches). Certains outils utilisés en grande culture comme le déchaumeur Morris sont capables de ramener les racines des mauvaises herbes en surface. La grelinette, encore dénommée fourche biologique, prisée par certains jardiniers amateurs et maraichers qui souhaitent ne plus utiliser le labour, est un outil de décompactage.
C’est un travail du sol comparable au pseudo-labour, mais sur une épaisseur plus faible (5 à 15 cm). Souvent utilisé pour ensemencer une terre en céréale après une récolte, par exemple après une récolte de betterave ou de pommes de terre. En grandes cultures, les outils le plus souvent utilisés sont des déchaumeurs à versoir, des outils à disques ou à dents. Pour le jardinier amateur, la griffe (ou croc) munie d'un manche est l'outil idéal pour ameublir la terre sur une faible épaisseur ce qui peut être également entrepris à l'aide d'une motobineuse en réglant la position de la béquille de terrage. Plus la béquille de terrage est réglée vers le haut, moins la motobineuse travaille en profondeur.
Absence de travail du sol en profondeur. Le travail du sol est effectué uniquement sur la ligne de semis pour lancer la germination des graines. Les outils de semis direct sont caractérisés par leurs éléments semeurs constitués de disques ou de dents. S'ils favorisent le positionnement de la graine, ils ont pour inconvénient de favoriser la levée des adventices. Cette technique permet une forte économie d’énergie fossile ; pour 3000 tonnes de terre retournée à l’hectare, 50 litres de fuel seront nécessaires en labour contre 6 litres dans le semis-direct. Pour reconstruire les caractéristiques biologiques des sols, les résidus de récolte doivent au moins assurer 30 % de couverture en complément des couverts végétaux. Le semis-direct doit être accompagné d’une couverture végétale permanente (juxtaposée aux cultures exportables ou en intercultures) pour produire sur place un engrais vert. Après les récoltes, le sol ne doit jamais rester nu, même en hiver. Avant les semis, la couverture végétale est détruite sur place le plus souvent à l’aide d'un désherbant.
C'est une variante du semis-direct. Son principe est de travailler le sol correspondant au rang des futurs semis sur une profondeur de 10 à 25 cm tout en laissant les résidus végétaux en surface sur les parties non travaillées parallèles aux cultures rentables.
Dans le semis direct, les résidus de culture sont laissés en surface où ils sont progressivement dégradés par les vers de terre et autres bestioles qui s’en nourrissent. L’essentiel de la matière organique du sol se retrouve donc concentré dans les premiers cm du sol. Or, la matière organique est bien plus exposée à l’oxydation quand elle est située à proximité de la surface où la concentration de l’oxygène est forcément la plus importante.
Si le labour peut être effectivement remplacé par le travail des vers de terre, il faut des années pour obtenir un travail équivalent à celui de la charrue que cette dernière effectue en quelques heures. En outre, la population de vers de terre est plus ou moins menacée par des prédateurs comme les taupes, les oiseaux et les sangliers.
L’absence d’un labour profond du sol en automne a un impact sur les populations de certains bioagresseurs qui hivernent en profondeur perturbant l’action d’assainissement des gelées hivernales. Les galeries creusées par les vers de terre sont empruntées par des larves de bioagresseurs en automne pour hiverner en profondeur à l’abri des gelées hivernales. Plus le sol est pourvu en vers de terre laboureurs, plus les larves de ravageurs trouveront un abri pour se protéger.
La mutation du labour vers le semis direct demande du temps. Une transition de 5 ans voir 10 ans selon certains auteurs (11) serait indispensables pour passer au semis direct. 5 années, c’est le temps nécessaire attribué aux vers de terre pour retourner la totalité de la couche arable sur une vingtaine de cm. Cette transition de 5 ans est aussi expliquée par le cycle de reproduction assez lent des vers de terre laboureurs. Les vers de terre (épigés) qui affectionnent les composts et les concentrations de débris végétaux en cours de décomposition en surface se reproduisent plus rapidement. Reconstruire une population de vers de terre en nombre suffisant demande une quantité de matière organique importante pour les nourrir ce qui représente un coût pour l’agriculteur (graines, engrais, fauchage, broyage…).
L’absence de travail du sol pose des défis techniques et économiques qui ne sont pas simples à régler :
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Prolifération des limaces à cause des résidus de culture laissés sur place.
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Le sol est plus lent à réchauffer et se ressuie moins vite.
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Développement plus rapide de certaines mauvaises herbes comme le vulpin, l’épilobe à quatre angles, le pissenlit, le rumex (12) et de prédateurs polyphages. Il a été constaté dans les vignobles méridionaux une augmentation de certaines adventices comme la mauve des bois, la scabieuse maritime, et cela malgré l’utilisation de glyphosate pour tenter de les réduire.
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Risque accru de maladie comme la fusariose suite à la présence de résidus organiques à la surface.
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Concentration de résidus d’herbicides et d’autres produits phytosanitaires en surface quand ceux-ci sont utilisés.
Dans une agriculture intensive telle que pratiquée en France, le labour est encore la solution privilégiée par la majorité des agriculteurs. Certains agriculteurs français ont pourtant adopté les TCSL pour répondre à des problèmes liés aux labours sur certaines parcelles comme l’érosion des sols et la diminution des réserves d’humus.
Les TCSL ont aussi l’avantage de produire des gains de temps significatifs avec une réduction des coûts en carburant en ce qui concerne le semis direct. Il existe des études qui montrent que l’agriculture de conservation pratiquée sur 14 années est globalement supérieure à l’agriculture biologique en ce qui concerne le développement de la biomasse dans les sols (13),
À noter qu'un labour ne débouche forcément pas sur une réduction de la microflore du sol tant que la quantité d’humus présente dans le sol reste stable et entretenue par des apports permanents de déchets végétaux provenant des récoltes, des fumiers de fermes et composts en complément des couvertures végétales en interculture. La couverture végétale enfouie par un labour produit les mêmes avantages que le semi direct sans que l’on soit obligé d’utiliser un désherbant.
Les données recueillies sur une longue période à partir d’essais menés par ARVALIS montrent que le travail simplifié du sol ne permet pas toujours une augmentation significative du stockage du carbone par rapport au labour surtout dans les climats tempérés. Au cours d’une période d’observation de 40 années, il fut constaté des épisodes de stockage et de déstockage du carbone pour le semis direct et le travail superficiel. En définitive, par rapport au labour et sur une longue période, il n’y aurait pas de différence significative du travail réduit du sol sur le stockage de carbone (14).
Une méta-analyse réalisée par l'Université de Bâle et signalée sur le site d'Agrarheure en novembre 2021(15) montre que le stockage du , la protection des sols et l’augmentation du rendement des cultures ne peuvent pas être atteints avec les seuls sans-labour et semis-direct. Ces méthodes de culture ne sont donc pas plus durables par rapport au labour avec recyclage des résidus de culture. Cette méta-analyse confirme les études menées par ARVALIS précisées plus haut, mais aussi les études du pédologue Axel Don (16), de l'Institut Thünen de Braunschweig, qui était arrivé à des conclusions très similaires en 2019. Les chercheurs de l’Université de Thünen avaient analysé plus d’une centaine d’études de terrain prenant en compte l’ensemble du profil du sol et ils ont constaté que les méthodes de semis direct ont permis de stocker en moyenne seulement 150 kg/ha de carbone par an. Dans de nombreuses études, une perte d'humus a même été relevée.
Les chercheurs de l'Institut Thünen ont noté que le semis direct n'est possible qu'en combinaison avec une utilisation accrue de produits phytosanitaires, notamment le glyphosate (a). Un herbicide est indispensable pour éviter l'enfouissement de la couverture végétale par un labour (l’usage de désherbant facilite la transformation de la couverture végétale en biomasse et interdit la germination des mauvaises graines). Des études effectuées en France montrent en effet que le développement du non-labour se traduit par une augmentation de la consommation d'herbicides allant de 9 % pour le maïs grain à 26 % pour le colza (17).
Le sans labour aurait également l’avantage d’améliorer la fixation du carbone dans le sol par la formation d’humus et conduirait à une meilleure protection du climat. Dans les sols non labourés, le CO² fixé dans le sol par la formation d’humus serait supérieur au rejet dans l’atmosphère de CO² provenant de la perte d’humus. Or, il faut tenir compte de toutes les émissions de gaz à effet de serre. Une étude publiée le 31 octobre 2023 par le Wiley Online Library (18) analysant une centaine de publications internationales a montré qu’un travail réduit du sol peut en même temps augmenter les émissions de protoxyde d'azote du sol, un gaz 300 fois plus nocif pour le climat que le CO2 . De petites quantités supplémentaires de protoxyde d’azote peuvent détruire l'effet de protection climatique de la formation d'humus. Ou même conduire à une augmentation globale des gaz à effet de serre.
a) Le glyphosate a été classé "probablement cancérigène pour l’Homme" (groupe 2A) par le CIRC qui effectue une évaluation du danger de cancérogénicité alors que les autres agences réalisent une analyse de risque. Selon les agences sanitaires, par rapport aux doses utilisées et conditions d'emploi préconisées, le glyphosate serait sans danger.
Si les méthodes de travail du sol sont considérées par leurs détracteurs comme agressives parce qu’elles modifient la structure du sol à l’aide d’un outil, ces techniques ont pourtant des avantages reconnus y compris par ceux qui pratiquent l’agriculture biologique dont voici une liste non exhaustive :
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Le labour augmente effectivement l’oxygénation du sol en profondeur, mais cela permet aux bactéries aérobies utiles de coloniser un volume plus important de la terre arable. Et ces bactéries ont un rôle important dans l'équilibre de l'écosystème du sol et sa fertilité. Les colonies de rhizobiums (bactéries fixant l’azote) ont besoin d’oxygène et le labour renforce donc leur présence dans une couche plus profonde du sol. Cette augmentation de l’oxygénation par le labour produit un renforcement d’agents microbiens aérobies impliqués dans la santé du sol. Par exemple, le Pseudomonas spp qui est une bactérie aérobie stricte prospérant dans la rhizosphère est connu pour être phytoprotectrice des racines (voir l'article sur la rhizosphère et sols suppressifs). Elle crée un bio film adhésif et protecteur qu’on appelle mucilage microbien. Cette bactérie est également connue pour sa capacité à solubiliser le fer.
Liste de quelques micro-organismes aérobies stricts dont la présence favorisée par une bonne oxygénation, stimule la santé des sols.
fixent l’azote atmosphérique pour le transformer en ammonium (20 à 40 kilos par hectare).
Cette bactérie produit une enzyme phythase libérant le phosphore organique du sol. Cette bactérie colonise les racines et ralentit les champignons nuisibles. Elle génère également des auxines (hormone de croissance) favorisant le développement des racines.
s’associe à une autre bactérie stricte, le Rhizobium qui fixe l’azote atmosphérique en association avec des plantes hôtes comme les légumineuses. Bacillus Radicola est productrice de phytohormones qui augmentent de développement du système racinaire des plantes.
spécialisées dans la dégradation de la matière organique fraîche contenant notamment de la lignine et de la cellulose. Elles inhibent également certains germes pathogènes.
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Les fumiers utilisés directement comme fumure ont l’inconvénient de perdre une partie de leur azote par volatilisation de l’ammoniac au cours de leur transformation en nitrate. Pour limiter les pertes par volatilisation, l'enfouissement immédiat est une technique efficace, ce qui est aussi le cas pour les lisiers.
Carottes fourchues cultivées dans un sol insuffisamment émietté.
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Un labour profond suivi d'un travail du sol pour réduire les mottes évite la dégénérescence des légumes racines comme la carotte et l'endive (racines fourchues).
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La pomme de terre est une plante très exigeante quant à la préparation du sol d’autant que c’est une plante à développement rapide : 90 à 120 jours ; il est donc important de favoriser le développement des racines par un travail mécanique du sol sur une profondeur de 15 à 20 cm. Pour obtenir un sol bien ameubli, un travail en profondeur par passage de chisel est particulièrement souhaité en sols argileux et limoneux. En raison des exigences propres à la pomme de terre, il faut construire une couche fine de plantation de 10 cm environ le plus souvent réalisée en grande culture avec des scarificateurs ou des vibroculteurs.
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Le renouvellement des bactéries en surface est très rapide. La répartition des bactéries anaérobies et aérobies dans les différents horizons se corrige très rapidement.
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Un travail profond du sol crée de nombreux pores et microfissures permettant aux racines d'explorer plus facilement la zone active du sol de culture. Certaines cultures sont très exigeantes sur la qualité structurelle du sol. Par exemple, le tournesol est très sensible aux zones de compaction. Tout obstacle à son développement peut lui faire perdre 5 quintaux/ha et dégrader sa teneur en huile (19). Un travail profond est donc nécessaire comme il l’est également pour certaines cultures maraîchères (melon, poireau, endive, carotte…). Il est bien plus facile d'obtenir un travail profond du sol avec des outils mécaniques qu'en laissant ce travail à des vers de terre dont l'action peut être entravée par des facteurs incontrôlables notamment climatiques.
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Les légumineuses présentent sur leurs racines des nodosités renfermant des bactéries fixatrices de l’azote atmosphérique. Ces bactéries consomment aussi de l’oxygène pour former des nitrates contribuant à l’enrichissement du sol en azote. C’est pour cette raison que les nodosités sont plus nombreuses dans les premiers centimètres de la surface du sol. Un entretien du sol par un travail adéquat en profondeur facilitant les échanges de gaz avec l’atmosphère, augmente l’épaisseur de cette zone d’activité biologique, et par la même occasion le potentiel de fertilité du sol.
Nodosités sur des racines de haricots
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Les éléments très fins en suspension dans l’eau ont tendance à être entraînés par les pluies pour se concentrer dans des couches de profondeur variable, ce qui génère en retour de l’érosion en surface. Au bout de quelques années, on constate la formation de zones indurées en profondeur et une diminution de l’activité biologique. Le travail profond du sol élimine ces zones indurées et repositionne les éléments très fins dans la couche arable. La manière dont l'argile est entraînée en profond est décrite dans un autre article en cliquant ici.
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Dans un sol labouré, le sol étant plus poreux, il y a moins de perte d’engrais produite par le ruissèlement. Le travail du sol facilite l’écoulement de l’eau d’arrosage ou de pluie vers les racines qui reçoivent par la même occasion plus de substances nutritives entraînées par l’eau. Les sels minéraux non absorbés sont plus facilement fixés en profondeur par les CAH alors qu’ils seraient perdus par ruissèlement quand le sol n’est pas suffisamment travaillé.
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Un labour est très utile pour lutter contre les mauvaises herbes par leur enfouissement contribuant à enrichir le sol en humus. Le labour est connu pour être efficace par exemple contre la renouée des oiseaux. 90 % des graines de bromes (localement nuisible dans les céréales d’hiver, connues pour être favorisées par la simplification des façons culturales) disparaissent après un labour. Un labour suffisamment profond altère l’installation d’adventices ligneuses (phanérophytes, chaméphytes) et les espèces herbacées à souche (hémicryptophytes) comme le rumex (20). L’effet sur les plantes annuelles est plus ou moins nuancé, car le labour ramène à la surface les graines produites les années précédentes si elles ont résisté aux perturbations climatiques et biologiques.
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Pour les espèces vivaces, la destruction peut être en partie annulée par une germination des morceaux de rhizomes. Le succès dépendra de la manière dont ces propagules sont traitées (profondeur et fréquence des labours, ramassage des résidus de rhizomes…), les conditions climatiques. Par exemple un labour en conditions sèches en été favorise le dessèchement des rizhome de liseron et du chiedent rempant. Après un labour en période estivale, il est possible de passer un outil à dents pour extirper les rizhomes désséchés. La mécanisation du labour a permis de reléguer au bord des champs des adventices à rhizome autrefois emblématiques, comme le chiendent rampant.
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Le labour est un outil efficace pour perturber le cycle de vie de microorganismes pathogènes comme la fusariose, une maladie redoutable qui affecte le blé tendre ou certaines cultures maraîchères (à la condition d’effectuer un broyage fin avant l’enfouissement des résidus et d’entreprendre des rotations pour éviter les associations incompatibles). Les cultures en non-labour sont plus exposées si des résidus potentiellement contaminés sont laissés en surface et si aucun traitement n’a été effectué avant la récolte pour combattre la fusariose.
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Le labour d’automne facilite la destruction des œufs et chrysalides des insectes nuisibles qui se sont enfoncés dans le sol pour se protéger du froid de l’hiver en les offrant aux oiseaux ou à la destruction du gel. Certains ravageurs comme les taupins s’enfoncent profondément dans le sol pour résister au froid. Autre exemple : les pulpes de la mouche du céleri (Philophylla heraclei) hivernent dans le sol entre 5 à 10 cm. Un labour peu profond d’une parcelle permet au gel d’hiver de détruire les pulpes de la mouche du céleri sans faire appel à des pesticides. Toutefois certains carabes utiles passant l’hiver dans le sol sous forme de larves ou d’adultes, sont aussi détruits, mais leur population peut être en grande partie maintenue par la préservation d'habitats semi-naturels à proximité des cultures. À noter que le broyage de végétaux déposés en surface proposé par certains adeptes du semis-direct ne suffit pas pour se débarrasser des ravageurs, car, il n’y a pas de retournement de la terre pour ramener en surface les ravageurs ou leurs œufs.
S’il est exact qu’en grande culture, la mécanisation a conduit à un approfondissement des labours dépassant les 30 cm, depuis quelques années, l’on revient à des labours plus superficiels afin de réduire les pertes en MO. À cet effet des fabricants proposent des charrues déchaumeuses avec une faible puissance de traction travaillant le sol sur 10 à 15 cm. Certaines charrues déchaumeuses à socs permettent également de réaliser un désherbage mécanique tout en respectant la structure en profondeur du sol.
En conclusion, en ce qui concerne l’entretien du sol de culture, il n’y a pas une technique idéale qui supplanterait toutes les autres, seulement des techniques adaptées au contexte pédoclimatique du lieu. Pour le jardinier amateur, le travail du sol alternant labour, pseudo-labour et travail superficiel, est encore la méthode d’entretien du sol la plus pratique sous réserve d’épandre tous les ans un volume minimum de compost pour compenser les pertes en humus. Un travail profond du sol correctement effectué avec des ajouts périodiques de composts de moyenne et longue durée finit par produire une terre végétale correspondant à l’épaisseur du sol travaillé. Cette couche de terre arable s’améliore tous les ans et il est facile de s’en assurer. Si l'on enlève la couche de terre végétale, on constate une rupture de couleur entre le sol travaillé et la couche sous-jacente plus claire. La photo ci-dessus présente un trou profond d’une quarantaine de cm effectué dans mon jardin potager montrant la couche arable d’une trentaine de cm et la couche sous-jacente plus claire. Le sol d’origine présentait une couleur encore plus claire il y a 15 ans, la couche sous-jacente ayant reçu entre temps de la matière organique par infiltration provenant de la couche arable.
1) L'économie rurale et la vie dans les campagnes dans l'occident médiéval, Georges Duby
2) Mœurs et usages du Lauragais ; 1868 ; Marseille : Laffitte Reprints, 1979.
3) Study: Over a third of U.S. Corn Belt has lost its carbon-rich topsoil
4) Salambier et al., 2014
5) Terre-net https://www.terre-net.fr/observatoire-technique-culturale/strategie-technique-culturale/article/il-atteint-4-des-surfaces-cultivees-en-ble-tendre-217-96007.html
6) Pionnier en agriculture de conservation des sols : le goût d’innover ; INRA – science & impact 22-01-2019
7) Cover Crop Corner: What cover crops have gifted us | AGDAILY
8) Global Soil Biodiversity Atlas p 58
9) Fertilité des sols, importance de la matière organique – chambre d’agriculture Bas Rhin
10) Infloweb ; connaître et gérer la flore adventice
11) La fertilité des sols : l’importance de la matière organique – agriculture & terroirs, chambre d’agriculture du Bas-Rhin - dec 2011
12) Fried et al., 2012 Trajectories of weed communities explained by traits associated with species’ response to management practices
13) Fourteen years of evidence for positive effects of conservation agriculture and organic farming on soil life – agronomy for sustainable Development – janvier 2015, vol 35
15) https://www.agrarheute.com/management/betriebsfuehrung/pfluglos-ackern-bringt-nichts-neue-fakten-587321
16)https://www.agrarheute.com/management/betriebsfuehrung/humus-boden-pfluglos-arbeiten-bringt-nichts-559984
17) Enquête SSP 2017
18) https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/gcb.16983
19) Le tournesol ; chambre d’agriculture Landes 2014 p 19
20) L’appauvrissement floristique des champs cultivés - Philippe Jauzein ; dossier de l’environnement INRA N° 21