Initiation aux méthodes intégrées au jardin potager
Chapitre : Fertilisation
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⇒ Engrais synthétiques ou engrais organiques ?
Extrait du film : Les Gardiennes
Une trentaine d’éléments simples sont absorbés par les plantes dont certains sont considérés comme des éléments majeurs. Parmi ceux-ci l’azote, le carbone l’oxygène, le phosphore et le potassium sont consommés en assez grandes quantités. Le calcium, le soufre et le magnésium qui sont aussi considérés comme des éléments majeurs, sont consommés en moindre quantité. De tous les éléments nutritifs, l'azote est le seul élément absorbé par les plantes à ne pas préexister dans la roche mère.
Les éléments majeurs sont responsables de plus de 99 % du poids des plantes. D’autres éléments simples dénommés oligoéléments sont absorbés en très petites quantités comme le manganèse, le fer, le bore, le zinc, le molybdène....
Certains oligoéléments : Le cobalt, le silicium l’iode, le fluor, ne sont absorbés que par certaines plantes. Pour cette raison, ils ne sont pas considérés comme des éléments indispensables pour toutes les plantes alors qu’ils le sont pour l’homme. Les éléments constitutifs comme l’azote, l’oxygène, le carbone entrent dans la composition des plantes pour former des protéines, des glucides, des vitamines…
Les éléments non constitutifs comme le potassium, le chlore, le sodium... sont utilisés durant certaines phases du cycle cultural pour intervenir dans des fonctions biologiques. Tous ces éléments sont apportés sous la forme de sels minéraux (nitrates, phosphates, sulfates…) ou d’atomes ionisés (K⁺ Ca₂⁺ Mg₂⁺ Na⁺) solubles dans l’eau.
Toutes les plantes ont des besoins différents en sels minéraux et ces besoins évoluent dans le temps. Il est donc important que l’agriculteur régule l’apport de ces sels minéraux tout au long du cycle cultural.
L’introduction dans la fertilisation il y a plus de 50 ans des engrais minéraux a toujours fait l’objet de polémiques. Le manque d’information, la peur du « chimique » sont à l’origine d’une aversion de tout ce qui est synthétique accentués ces dernières années par le développement d’internet avec prolifération de sites propageant des affirmations inexactes.
Dans la première moitié du XXe siècle, l’agronome Sir Albert Howard contestait déjà la nature artificielle des engrais de synthèse qui perturberaient le bon fonctionnement des plantes. Pour lui, tout élément inerte comme les minéraux et les engrais chimiques interfèrent de manière négative dans la croissance des plantes. Une fertilité artificielle remplaçant la fertilité naturelle serait potentiellement nuisible. De nos jours, cette argumentation est encore évoquée sous différentes formes dans des écrits et sites internet.
Par exemple des adeptes du tout naturel sont persuadés que les cultures bios sont en phase avec la nature parce qu’elles sont nourries avec du fumier et des composts provenant du monde vivant. Mais comme ces allégations mystiques ne peuvent passer dans toutes les chaumières, d’autres adeptes ont recours à des assertions plus sophistiquées ayant l’apparence de la science pour tenter de convaincre des couches de la population plus éduquée. Voici un exemple significatif :
Le recours aux engrais chimiques dans l’espoir d’augmenter la fertilité des sols aurait des conséquences négatives sur la microflore produisant en retour un déséquilibre de la biodiversité et un appauvrissement des sols pour le réduire à terme à l’état de squelette. Comment cela est-il possible ? Un site internet donne une réponse souvent évoquée dans les milieux écologistes : « C’est un des principes du potager naturel qui consiste à nourrir le sol, par opposition aux engrais chimiques qui nourrissent la plante, mais laissent le sol pauvre. » (le souligné en gras est de l’auteur) (2).
Visiblement, l’auteur de ce site internet ignore qu’en agriculture conventionnelle on utilise surtout des engrais complets qui contiennent de l’urée ou de l’ammonitrate qui sont transformés progressivement en nitrate par des organismes de la microflore (bactérie, archées…). L’urée est une substance naturelle présente dans l’urine des animaux que l’on retrouve dans les fumiers. Quand les fumiers sont épandus dans les champs (ou introduits dans des composts), l’urée est décomposée en ammonitrate puis en nitrate assimilable par les plantes. Une partie de l’urée et de l’ammonitrate des engrais composés est mobilisée par la microflore du sol pour ses besoins personnels comme c'est le cas pour les engrais organiques à base de fumiers. Ainsi, les engrais complets en nourrissant la microflore, contribue au développement de la biomasse microbienne.
Par contre, les engrais synthétiques n’apportent pas directement du carbone dans le sol. Mais les plantes cultivées apportent ce carbone à la microflore par rhizodéposition (voir l'article sur la rhizosphère) qui peut être complétée par des amendements organiques (compost, engrais verts…), l'enfouissement des pailles. Ainsi, les fumures minérales en augmentent la production végétale, produisent plus de déchets organiques (pailles, débris végétaux, masse racinaire, etc.). Les engrais minéraux sont donc indirectement générateurs d’humus.
Un recyclage idéal consisterait à retourner dans les sols tous les éléments nutritifs prélevés par les récoltes. Cet objectif pourrait être assuré par une agriculture durable selon le modèle de ferme de culture et d’élevage. Pour le jardinier amateur et pour aller dans le même sens, c’est le modèle du jardin potager et d’élevage de petits animaux (lapins, poules...) qui est proposé. Mais cela est plus difficile à mettre en œuvre en grande culture surtout pour les céréales parce qu’il faut disposer de grandes surfaces en prairies, et parce qu’on ne peut éviter les pertes produites au cours des différentes étapes du recyclage de la matière organique pour les raisons suivantes :
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La fermentation des fumiers compostés s’accompagne d’une perte d’ammoniac vers l’atmosphère.
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Les éléments minéraux qui restent dans le sol ne sont pas intégralement absorbés par les plantes ; une partie est perdue par lessivage ou entraînée en profondeur (lixiviation).
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L’évolution des composts incorporés au sol s’accompagne aussi de pertes gazeuses au cours de processus biologiques de nitrification.
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La consommation d’aliments s’accompagne à chaque fois par des pertes en éléments récupérables. Une partie est conservée par les animaux et les bactéries qu’ils hébergent, une autre partie est perdue sous forme de gaz et d’excréments non recyclés.
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Avec la généralisation du tout-à-l’égout en ville comme à la campagne, les excréments humains ne sont plus récupérés pour l’agriculture. Après traitement dans les stations d’épuration, ils finissent sous forme de nitrates, phosphates et autres sels minéraux rejetés dans la nature pour se retrouver dans les cours d’eau et nappes phréatiques. Une mine d’or perdue à jamais. Il y a à peine 50 ans, le contenu des fosses septiques était encore une source appréciable d’engrais pour les jardins ouvriers et les agriculteurs.
Remarque sur l'origine des engrais organiques.
Il n’est pas certain que des engrais organiques achetés dans un magasin spécialisé répondent aux critères de l’agriculture biologique en ce qui concerne leurs origines. Les engrais organiques achetés à l'extérieur de l'exploitation « bio », tels que le sang séché, la corne broyée et les fumiers et fientes de volailles, proviennent souvent d'exploitations conventionnelles et sont donc, in fine, le fruit de la conversion d'engrais de synthèse (qui a servi à produire les aliments des animaux) en engrais organiques. Certains intrants contiennent même des résidus d'OGM importés, « blanchis » par le passage dans des bâtiments d'élevage conventionnel.
Les engrais synthétiques sont refusés en agriculture biologique parce que les firmes qui produisent ces engrais consomment des énergies fossiles et rejettent des gaz à effet de serre. La préparation des composts en produit tout autant, sinon plus, notamment par la volatilisation de l’ammoniac. Les engrais industriels contiennent de moins en moins d’urée synthétique pour éviter ce phénomène de volatilisation de l’ammoniac. En France, l’ammonitrate est devenu la principale forme d’engrais azoté utilisée en agriculture conventionnelle. Malheureusement l’ammonitrate seul, est maintenant interdit pour les jardiniers amateurs ce qui les oblige à utiliser l’urée quand ils ont besoin d’un engrais uniquement azoté.
Pour la fertilisation minérale, comparativement aux autres éléments majeurs que contiennent les engrais composés, c’est la production industrielle d’engrais azotés qui consomme le plus d’énergie. Celle-ci est fournie à partir du gaz naturel (CH₄) dont deux tiers servent de matière première pour fabriquer de l’ammoniac avec de l’azote atmosphérique, et un tiers de source énergétique. La dépense énergétique pour la production d’engrais azoté à partir de l’azote atmosphérique ne représente que 1 % de la dépense énergétique mondiale (4). L’abandon de cette production industrielle n’aurait donc aucune conséquence sur l’effet de serre.
Par contre, si le modèle de l’agriculture biologique est imposé, il serait responsable d’une augmentation conséquente de gaz à effets de serre essentiellement sous forme de méthane et de protoxyde d’azote provenant du compostage des matières organiques. Prétendre que l’agriculture biologique soit la solution inévitable pour réduire la production de gaz à effet de serre en agriculture est donc une imposture. En retour, les engrais minéraux fixent 4 à 6 fois plus de CO₂ pour former de la biomasse, par rapport à la quantité de CO₂ qui est consommée aux stades de la production, du transport et de l’épandage de ces mêmes engrais minéraux (5).
Les engrais minéraux permettent ainsi aux cultures d’atteindre leur potentiel maximum de croissance pour fixer davantage d’énergie solaire et le CO₂ de l’atmosphère. À noter qu’il existe des alternatives quand les énergies fossiles seront épuisées comme l’hydrogène fourni par électrolyse de l’eau.
Occupation des sols actuels en France
En 2015, les terres agricoles cultivées couvrent 36% de notre territoire, les espaces en herbe 15 %, les sols boisés 31 %, les espaces artificialisés (constructions, routes..) 13%, le reste (5 %) correspond aux landes, maquis, garrigues et autres occupations (3). Tenant compte qu’en France les pertes de rendements en agriculture bio sont de l’ordre de 40 % à 50 % par rapport à l’agriculture conventionnelle, pour produire la même quantité de nourriture il faudrait passer les surfaces agricoles à 50 % voire 54 % la différence (de 14 % à 18 %) étant prises sur les zones forestières (qui passeraient à 22 % ou 16 %). Afin de rendre l’agriculture durable et ne plus dépendre des engrais chimiques, cet espace réservé aux forêts devra être à son tour transformé en prairies pour produire des fumiers, ce qui est d’ailleurs largement insuffisant. En définitive, le retour au modèle ancien des fermes de culture et d’élevage nécessitera une extension considérable des surfaces cultivées aux dépens des forêts entrainant forcément une perte de biodiversité ; tout le contraire de ce que souhaitent les penseurs du mouvement écologique.
En France, en raison du nombre de personnes qu’il faut maintenant nourrir, il est probable que la transformation en prairies de toutes les forêts encore existantes ne suffira pas pour satisfaire les besoins en intrants organiques de l'agriculture biologique. Une agriculture durable existait avant l’invention des engrais, mais elle permettait de nourrir à peine 20 millions de Français au XVIIIe siècle pour prendre un exemple, et quand les conditions météorologiques étaient favorables avec une pression réduite des bioagresseurs ce qui n'était pas toujours le cas. Des conditions aléatoires et incontrôlables qui produisaient de temps en temps des famines. Aujourd’hui, en France, il faut nourrir 3 fois plus de population avec une superficie globale qui n’a pas changé.
Les conséquences seraient encore bien pires si demain des pays comme l’Inde, la Chine et d’autres encore de plus de cent million d’habitants décidaient de convertir la totalité de leur surface agricole en agriculture biologique avec comme modèle la ferme de cultures et d’élevages. Personne dans ces pays n’envisage sérieusement de s’engager dans cette voie, sauf quelques extrémistes ignorants et irresponsables se réclamant du mouvement écologique.
Le rêve d'une agriculture durable qui se satisferait à elle-même reste donc un objectif bien difficile à atteindre sauf si demain des progrès importants sont obtenus dans les nouvelles technologies d'édition génomique pour augmenter les productions, réduire la consommation d’eau d’arrosage et créer des plantes capables de survivre dans des sols pauvres. Une technologie qui est aussi refusée par les sectateurs de l’écologisme.
Les engrais minéraux seraient responsables d’une dégradation de la biodiversité des sols. Mais c’est aussi le cas des engrais organiques. C’est surtout l'utilisation excessive des engrais chimiques et/ou organiques qui exerce des effets délétères sur les microorganismes du sol, ce qui à son tour, dégrade la fertilité du sol et pollue l'environnement. Un usage minutieux correspondant aux besoins des plantes tout au long de leur cycle végétatif n’a pas cet inconvénient.
En augmentant le potentiel de fertilité du sol, tous les engrais produisent un effet positif sur la croissance et l’abondance de certains organismes vivants dans le sol. Mais ils engendrent aussi un appauvrissement des espèces adaptées aux milieux pauvres en nutriments. La plupart des plantes cultivées ont besoin d’un sol riche en nutriments et surtout les cultures maraîchères, ce qui nécessite de corriger le potentiel de fertilité des sols.
Quel que soit le mode de correction des sols à l'aide d'intrants organiques ou minéraux, on se retrouve toujours avec une augmentation du potentiel de fertilité ce qui a pour conséquence de modifier l’environnement. L’irrigation a aussi un impact sur la biodiversité en instaurant une concurrence négative vis-à-vis des plantes subsistant dans des zones arides. On aurait le droit de s’inquiéter de cette évolution de la biodiversité si elle avait pour conséquences de réduire les services rendus aux agriculteurs par les écosystèmes ce qui n’est pas démontré. Pour résumer, faut-il abandonner l’agriculture sous prétexte de préserver la biodiversité naturelle ? Qui est prêt à revenir aux temps préhistoriques de la chasse et de la cueillette ?
Il paraît que les engrais minéraux acidifient les sols ce qui n’est pas faux, sauf que les engrais organiques produisent le même effet. Cette acidification se produit lors de la transformation de ces engrais en nitrate (voir l’article : acidité et alcalinité des sols).
1) Fatah AMEUR. Recherche de meilleures pratiques agricoles pour la culture de la pomme de terre - Ecole nationale supérieure agronomique El-Harrach Alger
2)http://potagerdurable.com/la-phacelie-cette-plante-engrais-mellifere-qui-fleurit-le-potager
3) Portail de l'artificialisation des sols ; panorama de base de données TERUTI LUCAS
4) Réponse à l’écologisme – comment la connaissance permet de réfuter les peurs entretenues
5) http://fertilisation-edu.fr/le-raisonnement-de-la-fertilisation/phosphore-potassium-et-magnesium.html?id=143