Initiation aux méthodes intégrées au jardin potager
Chapitre : Traitements
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⇒ Les traitements bios ou conventionnels contre les bioagresseurs.
Avant l’invention des pesticides de synthèse, durant des millénaires, des famines apparaissaient de temps à autre provoquées par l’émergence de véritables épidémies détruisant une grande partie les récoltes. Les rendements en céréales étaient 10 fois inférieurs à celles d’aujourd’hui. De nos jours, la plupart des gens qui forcément n’ont jamais connu ces famines ont pris l’habitude de manger tous les jours à leur faim sans se rendre compte que ce progrès est dû à l’usage des engrais et pesticides en agriculture.
Certes, les pesticides n’ont pas que des avantages. Leurs usages intensifs peuvent produire par sélections des bioagresseurs plus résistants, ils ne sont pas sélectifs et ils peuvent avoir un impact négatif sur la biodiversité et surtout sur les auxiliaires utiles. Mais la grande majorité des agriculteurs savent que l’interdiction de tous les pesticides est une utopie, d’autant que tout le monde traite en agriculture, y compris les professionnels qui se sont reconvertis dans la filière bio ce qu’ignorent bien des Français. Selon un sondage réalisé par Harris Interactive diffusé par l’association Alerte Environnement, 50 % des Français ne savent pas que l’agriculture biologique utilise des produits phytosanitaires (1) ; des produits qui ne sont pourtant pas anodins en raison de leurs propriétés chimiques et des doses couramment utilisées pour pallier à leur manque d’efficacité.
Les traitements sont donc inévitables si l’agriculteur ne veut pas se retrouver des pertes de rendements insurmontables quand par exemple, les conditions climatiques sont défavorables produisant une explosion d’un bioagresseur. Il ne faut jamais oublier que les plantes sont aussi des êtres vivants qui peuvent-être malades et il faut bien de temps en temps les soigner comme on soigne son chien domestique quand il est malade. Bien entendu, l’usage des produits phytosanitaires s’avère nécessaire quand d’autres solutions telles que les protections physiques ou le choix variétales ne sont plus efficaces.
Salade Batavia ; Attaque de rhizoctone
La peur des pesticides, y compris ceux utilisés en agriculture bio, engendre quelquefois des pratiques irrationnelles. J’ai quelquefois rencontré des jardiniers amateurs qui préfèrent consommer des légumes et fruits véreux plutôt que de chercher à les protéger contre leurs bioagresseurs avec des traitements efficaces. Est-ce bon pour notre santé de manger des plantes malades ? Personne n’envisage de manger un animal d’élevage atteint d’une infection ou de parasites qui ne seraient pas éradiqués. Pourquoi faire une exception pour les plantes ? Ceux qui préfèrent manger des fruits véreux ne savent pas à quels dangers ils sont exposés décrits ci-dessous.
Les vers présents dans les fruits ou les légumes prospèrent en creusant des galeries facilitant l’introduction de champignons et de bactéries particulièrement pathogènes. N’espérez pas que ces vers déposent leurs excréments à l’extérieur pour vous faire plaisir parce que vous êtes un adepte des produits bios. Ces excréments déposés dans les galeries sont une source d’infection et contiennent des toxines dangereuses qui se propagent dans le fruit. Certains champignons pathogènes (aspergillus sp. - penicillium sp.) qui accompagnent les attaques du « ver de la pomme » (carpocapse), produisent de la patuline, une toxine neurotoxique, tératogène, immunotoxique et embryotoxique (2) dont la dose journalière admissible actuellement tolérée dans l’alimentation est de 0,4 µg/kg de poids corporel (donc une dose très infime). Il est interdit de commercialiser du jus de pomme si sa concentration en patuline dépasse 50 µg/kg. La présence de patuline n’est pas décelable au goût ni à l’odeur.
Quand des punaises de lit s’installent dans une maison, il ne viendrait à l’idée de personne qu’il ne faudrait pas chercher à s’en débarrasser avec un pesticide approprié sous prétexte de protéger l’environnement. Les plantes sont fréquemment victimes d’insectes piqueurs. Pourquoi ne pas les protéger par des traitements appropriés quand d’autres moyens de protections ne sont pas efficaces ?
La Dose Journalière Admissible (DJA) pour une substance donnée est la quantité quotidienne possible d’une substance xénobiotique (étrangère à l’organisme) que l’on peut absorber au cours d’une vie entière sans risque pour la santé. Elle est fixée avec une marge de sécurité importante, de l’ordre de 100 à 1000, par rapport à la dose sans effet. Cette dernière établit la dose maximale qu’un animal de laboratoire peut absorber quotidiennement toute sa vie sans qu’elle ne produise d’effets physiologiques indésirables. L’AFIS a publié un dossier hors-série sur les pesticides (revue « science & pseudosciences), clarifiant ce qu’en dit la science par rapport aux idées reçues ; accessible en cliquant ici
D’une manière générale, en 60 ans, les doses moyennes de produits phytosanitaires homologués nécessaires pour traiter 1 hectare ont été divisées par plus de 34. Dans le même temps, la toxicité moyenne des substances actives a été divisée par 8,5. 75% des molécules disponibles au début des années 90 ont été retirées du marché. (Source UIPP).
Les pesticides sont-ils dangereux ? Certainement oui. Tout comme le soleil est dangereux, les abeilles sont dangereuses, les trains et les voitures sont dangereux… Mais définir un danger n'est pas suffisant pour mesurer son impact réel dans la vie courante. Il faut aussi tenir compte des facteurs d’exposition. Un danger peut être maîtrisé si les facteurs d’exposition sont bien connus et contrôlés avec des protections efficaces.
Le danger est partout présent dans la nature, qu’il soit la conséquence des activités humaines ou d’évènements naturels comme les tremblements de terre, les inondations, les radiations solaires et cosmiques… À chaque instant de la journée, nous prenons des risques acceptés. La voiture, la moto et même la bicyclette sont responsables de plus de 3000 morts par ans en France et personne ne songe à les interdire en application du principe de précaution inscrit dans notre constitution, parce que tous ceux qui les utilisent en ont besoin pour aller travailler, partir en vacances, faire leurs emplettes… Le risque d’accident de la route existe à chaque instant, mais on estime que les bénéfices retirés en valent le coup. Bien entendu, on aimerait que le risque d’accident de la route soit nul, mais tout le monde sait que cet objectif est impossible à atteindre.
Pour l’immense majorité des produits phytosanitaires que nous utilisons, la question fondamentale est de savoir si l’exposition à ces pesticides présente un risque acceptable. Cette distinction entre dangers (capacité d’une substance à produire des effets toxiques en fonction de la dose) et risques (exposition à la dose active préconisée, moyens de protection recommandés…), est très souvent ignorée par ceux qui demandent l’interdiction de tous les pesticides. Leur attitude est le plus souvent la manifestation d’une technophobie. Les produits synthétiques sont facilement suspectés tandis que les substances naturelles sont parées de toutes les vertus sans lien avec les données scientifiques.
Attaque de mildiou sur tomate cerise
Les écologistes extrémistes estiment que la plupart des substances synthétiques utilisées en agriculture ont une classification toxicologique et doivent donc être bannies. Or le risque toxique doit être estimé par rapport à la dose, le nombre de doses utilisées, l’intervalle entre les doses, et d’autres facteurs comme les conditions de dégradation de chaque substance. Ces propriétés doivent également être connues pour les métabolites (substances intermédiaires produites lors des processus de dégradation).
Il n’y a pas de substance anodine. Tout est toxique, mais ce qui est important de connaître c’est quand la toxicité d’une substance devient inacceptable. En science, le ratio entre les risques et les bénéfices permet de déterminer si l’usage d’une substance synthétique ou naturelle est acceptable dans des conditions d’emploi particulier répondant à des objectifs précis. La substance est acceptée quand les bénéfices sont considérés comme supérieurs aux risques. Cette manière d’établir un risque « calculé » par rapport à un danger est aussi utilisée pour les médicaments, les pesticides utilisés pour protéger les charpentes en bois, les produits désinfectants comme l’hypochlorite de sodium (eau de Javel)…
LLes traitements sont déclenchés quand une observation minutieuse des plantes aboutit à un constat d’insuffisance partielle des auxiliaires utiles et après avoir défini le niveau d’agressivité des bioagresseurs. Il existe aussi des situations où le bioagresseur présente un danger réel pour l’environnement si on ne tente pas d’enrayer rapidement sa progression par l’usage de produits phytosanitaires. Dans ce cas, il s’agit souvent d’insectes nuisibles importés ou de nouvelles maladies bactériennes, cryptogamiques ou virales. Toute absence de traitement débouchant sur une véritable catastrophe écologique.
En agriculture conventionnelle, les traitements généralisés pratiqués il y a quelques dizaines d’années avec des mélanges polyvalents de pesticides à larges spectres sont le plus souvent abandonnés. Un traitement localisé, effectué à partir de produits à vie très courte, permet de réduire leur impact sur les auxiliaires utiles.
Les traitements sont arrêtés quand les auxiliaires utiles sont capables de reprendre la relève. Par exemple, en ce qui concerne les salades, dans le nord de la France, les seuils d’intervention habituellement préconisés dans la lutte contre les pucerons indiquent qu’il faut traiter au printemps et à l’automne dès lors que 10 % des salades sont atteintes par le puceron. Ce seuil est porté à 20 % en été. Toutefois, les traitements des salades en été se sont souvent avérés inappropriés et peuvent même avoir un effet inverse par l’élimination de la faune utile qui à cette période est particulièrement efficace. Les larves de syrphes peuvent consommer jusqu’à 400 pucerons au cours de leur développement rendant le plus souvent les traitements phytosanitaires inutiles (3).
rhizoctone de la carotte
Pour un particulier, des pesticides de synthèse comme le Décis quand il était encore autorisé, étaient largement suffisants pour traiter les bioagresseurs des plantes potagères. Certains pesticides de synthèse sont en quelque sorte des copies modifiées de molécules naturelles utilisées en agriculture biologique pour améliorer leur stabilité et leur efficacité. L'agriculture biologique les refuse parce qu'ils sont produits par l’industrie. Le deltraméthrine (substance active du Décis) a été inventé par des chimistes qui recherchaient une molécule ayant les mêmes propriétés que les pyréthrines du chrysanthème autorisées en agriculture biologique. La deltraméthrine est un insecticide de la famille des pyréthrinoïdes qui agit par contact (le pesticide n’est pas introduit dans le végétal). Son action est très rapide sur les pucerons, mais il a les mêmes inconvénients que les pyréthrines utilisées en agriculture biologique. Cet insecticide est toxique pour les abeilles, les poissons et les invertébrés d’eau douce. Il ne faut donc pas l’appliquer durant la floraison. Quant aux poissons et invertébrés, vous n’avez aucune raison d’asperger les rivières et étangs.
La deltraméthrine est métabolisée par la microflore quand elle retombe sur le sol. Mais sa demi-vie dans le sol est plus ou moins longue ; de 13 à 72 jours (4). Dans la notice de la Société Chimique de France, il est précisé que la formulation sous forme d’émulsion concentrée de deltraméthrine « permet de concilier bonne couverture de la plante, et biodisponibilité élevée » (5). Aux doses recommandées par le fabricant, la deltaméthrine apparaît comme particulièrement inoffensive pour les oiseaux et les mammifères. Aux doses supérieures, la deltraméthrine s’est révélée toxique par inhalation (ce qui est aussi le cas des pyréthrines naturelles homologuées en agriculture biologique). Il est donc conseillé de bien respecter les conditions d’épandage précisées dans la notice du fabricant.
Certains jardiniers adeptes de l’agriculture biologique se réfèrent à une idée simpliste stipulant qu’il faut respecter la nature en rejetant la culture de tout légume qui ne serait pas adapté au milieu local. Ce principe est également évoqué dans certains livres et articles de presse pour justifier l’interdiction depuis janvier 2019 des pesticides pour les particulier (7). Si je prends comme exemple un ravageur comme le doryphore, une telle recommandation pour les jardiniers amateurs conduit à interdire la culture de la pomme de terre dans toutes les régions de France.
La raison souvent évoquée pour justifier l’interdiction des pesticides de synthèse est d’accuser les particuliers de ne pas respecter les doses prescrites par les fabricants. Or, les produits considérés comme les plus dangereux étaient déjà interdits avant janvier 2019 pour un usage non professionnel.
Oïdium sur une feuille de courgette
Au jardin potager, comme pour les agriculteurs professionnels, les pesticides n’ont jamais été un problème majeur. En dehors des intoxications volontaires (les suicides) les accidents en agriculture régulièrement déclarés et prouvés sont rares. Enfin, les recommandations figurant dans les notices d’emploi ou les emballages étaient conformes à la réglementation en ce qui concerne la sécurité de l’applicateur et notamment la Limite Maximale de Résidu (LMR) et la Dose Journalière Admissible (DJA). Je rappelle que la DJA correspond à la quantité d’un pesticide que l’on pourrait absorber quotidiennement toute sa vie et sans risque divisé par 100. Si un jardinier amateur venait à multiplier par 100 la dose prescrite, il atteindrait la DJA et ne serait pas en danger. La marge de sécurité est donc très haute, ce qui explique la rareté des accidents domestiques en agriculture.
Les pesticides de synthèse étant interdits pour les particuliers à partir du 1er janvier 2019, comment ces derniers pourront-ils respecter la réglementation qui les oblige à intervenir si leurs cultures sont victimes d’un bioagresseur redoutable faisant partie de la liste des organismes nuisibles réglementés ?
L’interdiction des pesticides de synthèse pour les jardiniers amateurs ne manquera pas de produire des problématiques de santé végétale déjà très préoccupantes. Il n’existe aucun traitement bio efficace contre certains bioagresseurs particulièrement agressifs comme la bactérie Clavibacter michiganensis qui provoque le flétrissement de la pomme de terre ou encore la mouche Drosophila suzukii détectée en France à partir de 2009 qui affectionne les cerises, framboises, fraises, tomates… pouvant entraîner une perte de production pouvant atteindre 80 %. Cette mouche « est trop bien implantée dans le pays pour qu’il soit encore possible de l’éradiquer. La piste des parasitoïdes locaux n’a pas donné de résultats probants »(8).
Le jardinier amateur sera surtout démuni contre les maladies cryptogamiques et bactériennes (comme le mildiou qui infecte souvent les cultures de tomates et de pommes de terre) l’obligeant à adopter les préparations à base de cuivre homologuées en agriculture biologique, un métal connu pour sa toxicité pour l’homme comme pour l’environnement et non biodégradable. Or, pour combattre les maladies cryptogamiques, il n'existe à ce jour aucun autre substitut crédible permettant l'abandon du cuivre en agriculture biologique. C’est pour cette raison que l’autorisation d’utiliser des produits contenant du cuivre a été renouvelée pour 7 ans en agriculture biologique le 28 novembre 2018 par l’Union européenne (avec une réduction des quantités de cuivre autorisées ; passage de 6 kg/ha/an en moyenne à 44 kg/ha/an en moyenne avec un mécanisme du lissage pour faire face à des besoins plus importants certaines années).
L’interdiction des pesticides de synthèse ciblant 17 millions de nos concitoyens n’a eu aucun effet pour réduire le volume de pesticides utilisés en France. 5 % du tonnage de substances actives phytopharmaceutiques commercialisées chaque année en France étaient utilisés pour les zones non agricoles, le reste étant pris par les agriculteurs. Sur ces 5 %, ½ à 2/3 étaient utilisés par les particuliers (9). Il est évident que cette décision a été prise plus pour des raisons politiques que scientifiques. Difficile d’attaquer les agriculteurs en leur interdisant l’usage de tous les insecticides synthétiques. Alors, ce sont les particuliers qui sont sacrifiés sur l’autel de l’écologisme.
1) Horizons 25 3 2016
2) Université de Bordeaux : Les mycotoxines dans l’alimentation et leur incidence
sur la santé
3) Luttes intégrées contre les pucerons du feuillage de la salade dans le Nord Pas-de-Calais – station d’études sur les luttes biologiques intégrées et raisonnées
4) http://www.inchem.org/documents/ehc/ehc/ehc97.htm#SectionNumber:3.4
5) http://www.societechimiquedefrance.fr/pyrethrines
7) Le Télégramme N°968 du 4 septembre 2016
8) INRA -portails actus : Cerise : la lutte biologique veut faire mouche contre Drosophila Suzukii - http://www.inra.fr/Grand-public/Sante-des-plantes/Toutes-les-actualites/Lutte-bio-contre-Drosophila-suzukii#.V2pTdd577xU.twitter
9) Ministère de la transition écologique ; Accord cadre relatif à l’usage des pesticides par les jardiniers amateurs