Initiation aux méthodes intégrées au jardin potager
Chapitre : Biocontrôles
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⇒ Limites des méthodes de biocontrôle.
En culture maraîchère, les méthodes de biocontrôle faisant appel à des insectes utiles sont assez faciles à mettre en application pour les cultures sous serres ou protégées par des filets anti-insectes. Pour les grandes cultures, l’utilisation des produits phytosanitaires est encore aujourd’hui le moyen de lutte privilégié par de nombreux agriculteurs en raison des difficultés rencontrées pour mettre en place les alternatives aux pesticides. Par exemple, dans le sud-est de la France, les pomiculteurs sont confrontés aux ravages du carpocapse ayant une forte capacité de dispersion et une forte préférence pour les fruits à pépins. Même à très faibles niveaux de population, ce ravageur peut occasionner d’importants dégâts. Les ennemis naturels du carpocapse, notamment les hyménoptères parasitoïdes dont les femelles pondent dans les œufs et les larves de carpocapse, se révèlent insuffisants pour neutraliser ce redoutable ravageur.
Voici quelques autres exemples de difficultés rencontrées concernant l'importation d'auxiliaires utiles en milieu ouvert :
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Une population introduite provenant d'élevage d'insectes utiles peut connaître une dérive génétique. Selon le nombre d’individus sélectionnés, les différents variants génétiques sont plus ou moins bien transmis. Chez l’éleveur d’auxiliaires utiles, plus la population de départ est petite, plus la richesse en variants génétiques est réduite, plus on risque de produire des croisements entre individus apparentés ou consanguins, et plus on augmente la probabilité qu’un individu porte des gènes défavorables se traduisant par une baisse de fécondité ou une sensibilité à des maladies. Les populations introduites pour la lutte biologiques sont souvent caractérisées par une baisse de diversité génétique avec des taux d’hétérozigotie faible. Toutefois, les hyménoptères parasitoïdes ne connaissent pas cette dérive génétique en raison de leur mode de reproduction haplodiploïde.
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Certains auxiliaires utiles ont un régime alimentaire très étendu et peuvent même s’en prendre à des végétaux. Par ex la punaise prédatrice Nesidiocoris tenuis qui est très polyphage, attaque de nombreuses proies et pour cette raison elle a été utilisée dans des programmes de lutte biologique au Maroc et dans des serres en France avant que l’on constate que cette punaise peut piquer les apex des tomates provoquant quelquefois des dégâts importants. Les causes de cette diversité d’adaptation comportementale sont encore mal connues.
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Le contrôle naturel d'un prédateur de bioagresseur a toujours un train de retard, le temps que les bioagresseurs se reproduisent pour offrir suffisamment de nourriture à son prédateur. Durant cette période, l’agriculteur enregistre des dégâts plus ou moins importants dans les cultures. Ces dégâts sont problématiques quand les bioagresseurs sont porteurs d’agents pathogènes produisant des maladies incurables comme les viroses. Le contrôle naturel de la population des bioagresseurs est aussi influencé par d’autres facteurs comme les conditions météorologiques qui peuvent retarder la sortie des auxiliaires utiles.
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Le taux d’efficacité d’un traitement biologique dépend du mode d’action de l’auxiliaire utile. Si un bénéfice immédiat est possible par une importation massive de certains insectes prédateurs comme les coccinelles, d’autres prédateurs de bioagresseurs tels que les insectes parasitoïdes ne produisent qu’un bénéfice retardé le temps que leur larvent se développent dans l’hôte avant de le neutraliser laissant au bioagresseur toute facilité pour ravager une culture.
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La mise en place d’une lutte biologique par l’importation d’un auxiliaire utile peut s’accompagner d’un processus symbiotique bénéfique ou négatif avec des bactéries ou virus. Par exemple l’introduction de nématodes enthomopathogènes dans la rhizosphère d’une plante (pour neutraliser d’autres nématodes destructeurs des racines) se caractérise par l’émergence de bactéries symbiotiques avec le nématode introduit, et dont l’activité métabolique est indispensable pour attaquer le bioagresseur. En outre, ces bactéries délivrent un cocktail d’insecticides naturels, de fongicides et d’antibiotiques protégeant la plante cultivée. Par contre, cette introduction de nématodes utiles peut s'accompagner de l'introduction d’organismes pathogènes opportunistes (champignons, bactéries...) réduisant l'effet escompté.
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Certains prédateurs introduits à des fins de lutte biologique peuvent interagir avec d’autres ennemis naturels présents spontanément dans la zone de culture produisant en retour un déséquilibre de la biodiversité. Par exemple des coléoptères du genre Ptérosichus introduit en abondance peuvent consommer des pucerons précédemment parasités par la larve d’un hyménoptère altérant ainsi un facteur naturel d'équilibre de la population de pucerons.
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Certains bioagresseurs sont une menace grave pour l’environnement dès qu’ils apparaissent. C’est le cas du xillela fastidiosa de l’olivier, de la flavescence dorée de la vigne, du sharka des arbres fruitiers à noyau, et de la plupart des viroses qui peuvent infecter toutes sortes de plantes ornementales, fruitières et maraîchères. Les attaques les plus menaçantes doivent faire l’objet d’une déclaration en Préfecture et le traitement de ces bioagresseurs est obligatoire (voir l'article « La lutte obligatoire contre les organismes nuisibles réglementés »).
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L’action de prédateurs de bioagresseurs peut être altérée par la prédation intra-guilde. Cette dernière correspond à la prédation d’un prédateur par un autre prédateur de bioagresseur ayant pour conséquence de protéger le bioagresseur que l’on cherche à contrôler. Par exemple dans certaines conditions environnementales, des oiseaux peuvent se nourrir d’insectes prédateurs volants qui se nourrissent de lépidoptère s’attaquant au chou.
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Dans les zones où les ravageurs sont devenus résistants aux insecticides chimiques, la confusion sexuelle (qui consiste à dérouter les papillons mâles par des hormones pour empêcher la fécondation des femelles) est une solution alternative qui présente des avantages incontestables. Cette technique est par exemple efficace contre la tordeuse du pêcher. En cas de précipitations abondantes, les diffuseurs restent actifs alors que la protection chimique sera lessivée. Toutefois, cette technique de la confusion des mâles est considérée comme inefficace pour les petites plantations d’amateurs (1) - (2). Cette technique s’est surtout avérée utile en agriculture intégrée pour les surfaces uniformes supérieures à 5 ha, voire 10 ha quand la pression des ravageurs n’est pas très importante.
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L’apport d’auxiliaires utiles provenant d’un autre continent pour contrer un bioagresseur envahissant n’est pas facile à gérer. Certains auxiliaires utiles trouvent des hôtes de substitution lui permettant de se répandre vers d’autres territoires ce qui a pour conséquence d'engendrer une pression nouvelle sur les espèces indigènes conduisant à leur raréfaction, voire à leur disparition. C’est le cas de la coccinelle asiatique (Harmonia axyridis) introduite en Europe et en Amérique du Nord. Cette introduction n’a pas tardé à créer de sérieux problèmes par des atteintes à la biodiversité (cet insecte se nourrit des larves d’espèces de coccinelles indigènes). En Europe, cette coccinelle est maintenant considérée comme invasive et elle a été classée comme nuisible en Grande-Bretagne. On peut suivre l’évolution de cette coccinelle en France en cliquant ici.
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Un autre exemple d’importation ratée est celui du charançon Rhinocyllus conicus introduit dans les années 1970 en Amérique pour réduire la pression du chardon penché d’origine européenne. Ce charançon se développe maintenant sur plusieurs espèces de chardon Cirsium de l’Amérique du Nord entrainant des effets indésirables sur la communauté de phytophages associés.
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Après traitement efficace d’une culture, un auxiliaire utile importé peut avoir des difficultés à se maintenir dans son nouvel environnement notamment quand il ne trouve pas d’hôte de substitution. Il peut alors disparaître notamment par effet « allee » (réduction du taux de reproduction quand la population descend en dessous d’un certain seuil).
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Doryphore
Il suffit d’une seule espèce de bioagresseur pour détruire toute une récolte. C’est par exemple le cas du doryphore, un insecte oligophage importé accidentellement d'Amérique et qui peut détruire rapidement toute une culture de pommes de terre ou d’aubergine. La lutte contre ce ravageur repose encore de nos jours essentiellement sur les pesticides chimiques. En France, pour le jardinier amateur qui ne peut plus utiliser ces pesticides à partir du 1er janvier 2019, l’ester d’huile de colza appartenant au groupe des produits phytosanitaires de biocontrôle, semble efficace.
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Les oiseaux les chauves-souris et tous les insectivores ne font pas de distinction quant à l’utilité de certains insectes prédateurs des bioagresseurs, ce qui peut avoir des conséquences sur le contrôle naturel des bioagresseurs. Les chats détruisent les lézards alors que ces derniers sont des insectivores. Les chats chassent également les serpents qui sont pourtant bien utiles pour réduire la prolifération des escargots (3), or, la population des chats a beaucoup augmenté dans les lotissements ayant pour conséquence la raréfaction de certaines espèces utiles.
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La pression parasitaire s’accroît avec l’importation de nouvelles espèces favorisée par les échanges internationaux et le tourisme. Ces nouvelles espèces n'ont souvent pas de prédateur dans leur nouvel habitat et ne peuvent donc pas faire l'objet d'un contrôle naturel de leur population. Il est bien difficile d’éviter cet écueil sauf si demain on interdit tous les transports de marchandises et les citoyens de se déplacer. Le nombre de nouveaux ravageurs introduits chaque année est passé de 1,61 espèce entre 1950 et 1999 à 6,78 espèces entre 2005 à 2014 (4). Voici quelques exemples :
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La Drosophyla suzukii originaire du Sud-Est asiatique a été introduite en France dans les années 2000. Contrairement à sa cousine Mélanogaster qui privilégie les fruits en décomposition, drosophyla suzukii affectionne les fruits mûrs ou mûrissants au grand dam des arboriculteurs. Cette mouche ravageuse des fruits est terriblement envahissante et ne connaît pas en Europe de prédateurs capables de réguler son développement. Or, en dehors des filets anti-insectes, il n’existe à ce jour aucune technique bio vraiment efficace contre ce bioagresseur. Les arboriculteurs sont en présence d’un véritable fléau qui met en péril toute l’économique européenne et même mondiale s’ils décidaient d’abandonner les pesticides.
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En culture maraîchère, la mineuse de la tomate de la pomme de terre et de l’aubergine (Tuta absoluta) provenant d’Amérique du Sud a été introduite récemment en région méditerranéenne.
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Le thrips californien (Frankliniella occidentalis) se rencontre sur une grande diversité de plantes dont le concombre, poivron, l’aubergine et des plantes ornementales et des mauvaises herbes.
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Parmi les espèces exotiques introduites récemment, citons encore le frelon asiatique, la renouée du Japon (plante invasive inscrite dans la liste de l’Union internationale pour la conservation de la nature parmi les 100 espèces les plus préoccupantes), les jussies (plantes envahissantes des étangs et rivières). On parle beaucoup de la disparition de certaines espèces animales consécutive à l’action des pesticides, mais, entre 2005 et 2014, 61 nouveaux insectes sont apparus en France (soit environ 7 par an).
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Comme pour les produits phytosanitaires, les méthodes de biocontrôles peuvent faire l’objet de résistances dont voici quelques exemples :
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La noctuelle de la betterave (Spodoptera exigua) originaire de l’Asie du Sud-Est, connue pour engendrer de nombreux problèmes aux cultures sous serre (dont le poivron) est devenue résistante aux produits phytosanitaires et au Bacillus thuringiensis.
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Pour les vergers, il est possible d’utiliser depuis quelques années le virus de la granulose (Cydia pomonella granulosis virus) produisant des maladies chez des insectes ravageurs. Des résistances ont été mises en évidence contre ce virus. Une étude de l’INRA publiée en 2009 (5) précise que depuis 2005 « une forte résistance du carpocapse au virus de la granulose (CpGV) est également avérée dans les vergers en AB de quelques localités du sud-est et du centre de la France… D’une manière générale, le risque d’acquisition de résistances est fort dans les vergers en AB en raison d’une faible diversité de solutions utilisables et de leur moindre efficacité nécessitant une répétition des applications (10 à 15 traitements annuels au CpGV sur plus de 10 années consécutives dans certaines parcelles, par exemple pour éviter l’apparition d’une résistance, il est préférable d’utiliser ce produit en alternance avec d’autres produits phytosanitaires ».
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Une résistance à la confusion sexuelle a été observée chez quelques espèces de lépidoptères (6).
Les méthodes de biocontrôle font l’objet de nombreuses recherches partout dans le monde et il est fort probable que dans les années à venir on assiste à une amélioration des solutions existantes et à l’émergence de nouvelles techniques efficaces pour lutter contre les bioagresseurs.
1) Fiche technique du ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation et des Affaires rurales du Canada
2) Fiche du site web écophyto
3) Un article publié en 2016 dans Sciences et Avenir précise que les chats sont responsables de l’extinction de 63 espèces de mammifères, oiseaux et reptiles depuis 500 ans
4) MARTINEZ M., GERMAIN J.F., STREITO J.C., (2014) Actualités entomologiques. Nouveaux insectes ravageurs introduits en France métropolitaine
5) Protection phytosanitaire et biodiversité en agriculture biologique. Le cas des vergers de pommiers - Innovations Agronomiques (2009) 4, 217-228
6) Mochizuki et al., 2002